Nous sommes à Baume-les-Dames, un petite ville du département du Doubs.
Il fait froid, et la combinaison du brouillard, de la nuit et de la pluie ne rend pas la route très rassurante. Soudain, au bord de la route, une auto-stoppeuse fait son apparition dans l’épais brouillard, tel un étrange spectre rose. Oui, rose. Je réagis un peu tard et… Non, je ne l’ai pas écrasée. (Mais peut-être aurais-je dû ?…) Je fais demi-tour dès que je peux et arrive à sa hauteur, de l’autre côté de la route. Je réussis à lui faire comprendre que, malgré les apparences, je vais bien dans sa direction.
Elle dit : « Ah mais alors vous pourriez m’emmener ? »
Je pense : Non, non, j’ai fait demi-tour pour admirer ton superbe manteau à poils rose ! Bouge pas, j’prends une photo !
Sauf que… À l’époque, on ne sortait pas son téléphone pour prendre une photo. Un téléphone, ça permettait de téléphoner. Et de jouer à Snake. Mon Nokia 5110, malgré son impressionnant gabarit, n’intégrait pas d’appareil photo. C’est fort dommage, ça valait des points. Je suis un brin moqueur (et aussi un brun moqueur ), mais là, c’était légitime !
Bref, elle se rend à Montbéliard, c’est ma route et elle monte.
Vanessa a 22 ans. Elle est enceinte de 6 mois et demi, elle habite à Baume-les-Dames, où elle a toujours vécu. Une pure doubienne, quoi. Son rêve : habiter un jour à Paris. Mais il faut de l’argent pour ça. Elle me demande s’il y a un chien derrière, ou un chat. Je lui réponds que non. Après s’être assurée que j’aimais bien les chats, elle m’annonce qu’elle en a trois :
- une chatte,
- Félix,
- et un chat roux.
Ce sont les seules informations qu’elle a jugé nécessaires de me donner. Ces trois félins sont très gentils, sauf quand ils font pipi sur la tapisserie et les portes, ce qui laisse des auréoles jaunes pâles. Et aussi quand Le Roux (on ne sait pas pourquoi) donne des coups de patte à la chatte. Ce phénomène, qu’on pourrait croire anodin, semble susciter beaucoup d’interrogations dans la famille…
Après ces présentations d’usage, j’apprends que Vanessa se rend chez le copain de sa sœur. Je lui dis que je peux la déposer là où ça l’arrange dans Montbéliard. Mais le problème, c’est que Vanessa n’a pas le droit de faire du stop. Ben oui : enceinte de 6 mois et demi, dans la nuit et par ce froid, ça se tient.
Fièrement, elle m’annonce :
— Il faudrait donc qu’on arrive à Montbéliard en même temps qu’un train !
Elle avait tout préparé, la Vaness’ ! Mais je préfère ne pas répondre et me concentrer sur ma conduite. Jusqu’à ce que ma voiture, une superbe Renaud 19 violet métallisé d’une élégance rare, refasse cet étrange et impressionnant bruit de frottement et de claquement, comme si quelque chose de métallique bloquait fermement une roue.
— Ça ne risque pas d’exploser ? Non parce que je ne voudrais pas perdre la vie ce soir. On ne sait jamais… Bon, en cas de problème, on s’arrête, hein ?!.
Je la rassure en lui disant que les explosions de voitures ne sont pas si fréquentes que ça en dehors des films américains et que, moi non plus, je n’avais pas prévu de brûler vif dans ma caisse ce soir-là. Quand j’y repense : la Vaness’ rose bonbon dans la R19 violet métal… Sacré tableau !
Mais la route est longue… Très longue… Et Vanessa est une source de discussion intarissable ! Là, elle m’a raconté tout un tas de trucs que j’ai oubliés, plus le plus grand bien-être de mon esprit. Elle écoute de tout comme musique ; mais elle ne connaît que les disques de rock des années 60 de ses parents. Mais de tout.
On arrive bientôt à Montbéliard. Comme je suis impatient ! Je m’arrête devant la gare. Mais la gare de Montbéliard lui fait peur : elle s’est faite agresser une fois par une fille devant la gare ! Elle me demande mon téléphone pour prévenir qu’elle est arrivée, après m’avoir demandé si je ne pouvais pas attendre 10 minutes que le train arrive… Ce à quoi je réponds que je n’ai pas vraiment le temps car il est déjà tard. Elle appelle donc…
— Ah… v’z’êtes pâs lâ ? Ah ben c’est con çâ, j’suis à Montbééliâârd…
Un blanc.
Alors je me dis : « Non… Elle n’a pas fait tout ça, à 22 ans, enceinte… Non, elle n’a pas fait de stop dans la nuit et par ce temps pourri pour aller chez des gens alors qu’elle ne sait même pas si elles sont là, sans les prévenir, sans téléphone portable ?!? Non, quand même pas… ». La confirmation ne s’est pas faite attendre bien longtemps :
— J’aurais peut-être du appeler avant…
Donc, elle m’explique qu’elle doit rentrer chez sa mère… à Baume-les-Dames ! Elle en profite pour me faire comprendre que, si elle était directement sur la nationale qui se va perdre dans son trou paumé, ce serait plus simple de trouver quelqu’un qui voudrait bien la conduire. Je lui propose donc de la déposer à Voujeaucourt, à 3 km en arrière. Demi-tour… c’est parti !
La discussion est encore une fois très intéressante et très riche en idées en tout genre. Dommage que je n’arrive pas à m’en souvenir… On parle alors d’amnésie lacunaire ou de mémoire sélective. On arrive à Voujeaucourt, pays qui aurait dû une être une terre de délivrance pour moi. Je monte sur le trottoir pour me garer et faire descendre Vanessa. Et là, c’est le drame : « Crrouuuiiiic crrrrrr ». Sale bruit. Zut.
— Bon, je crois que je vais descendre là.
Bonne idée, ma grande, c’était bien comme ça que je voyais la fin de notre petite aventure.
— Merci et au revoir. Peut-être à une prochaine fois, car je fais beaucoup de stop.
Pleine d’humour, cette petite ! Non, Vanessa, il n’y aura pas de prochaine fois, c’est sûr : j’ai bien repéré ton manteau rose bonbon. Bref, je fais le tour du rond-point et l’horrible bruit a dû réveiller toutes les âmes du patelin. Je m’arrête cinq minutes. Je repars doucement, et 500 m plus tard, impossible de continuer. Je décide donc d’appeler l’assistance dont je dispose grâce à mon assurance… J’appuie sur * puis sur 1…
— Quel est le bruit que vous entendez ?
— Un grand bruit de claquement, craquement, frottement… tout ça mélangé.
— OK. Remarquez, je vous demande mais je n’y connais rien… Bien, monsieur, pas de problème, nous vous envoyons une dépanneuse à nos frais. Où êtes-vous ?
— A Voujeaucourt.
Un blanc, puis :
— Ah… Je suis désolée, je ne peux rien pour vous car vous êtes à moins de 50 km de votre domicile.
— OK, je me demande bien pourquoi je suis assuré… J’ai compris. Au revoir.
— Au revoir, Monsieur. Et bonne soirée !
J’imagine qu’à moins de 50 km, tout le monde doit être capable de rentrer en courant…
La soirée ayant déjà super bien commencé avec Vanessa, je ne vois pas pourquoi elle se terminerait mal, surtout avec une panne de voiture ! Je décide donc d’appeler des amis à la rescousse. Ils sont chez eux et partent aussitôt à mon « secours ». J’en profite pour avancer un peu, jusqu’à la station qu’on ne voit pas à cause du brouillard, mais que je connais, et où je pourrais laisser ma voiture pour la nuit, en sécurité. J’arrive avec bien du mal à la station. Lumières allumées… Mais station fermée. Un couple discute à l’intérieur. Je frappe. Le mec me fait comprendre que c’est fermé. Vas-y prends-moi pour un con, j’avais pas vu. J’insiste. Même mouvement du doigt. J’insiste encore : à la longue, ils en auront marre.
— Fermé !
Je frappe plus fort. Là, comme si je n’avais pas compris, il éteint la lampe intérieure et continue de papoter. Je me mets donc à hurler : « Mais quelle bande de connards, ils laisseraient crever quelqu’un, juste parce que c’est fermé ». Je devine un « Désolé monsieur, allez crever ailleurs, ici c’est fermé ». Je commence donc à taper dans la poubelle qui est juste devant. Il semblerait que l’interrupteur des lampes intérieures soit dans la poubelle : la lumière refait son apparition dans la boutique. Sans m’ouvrir la porte, il me demande ce que je veux. Je lui réponds, en gueulant, que je voudrais juste une place de parking pour la nuit car je suis en panne. « OK ». Voilà, je suis garé en sécurité, mes amis vont arriver, tout va bien. Total, je n’irai plus chez eux par hasard, c’est certain.
Mes amis arrivent. Je propose de leur faire écouter le bruit. On fait 2 petits km, et pas… De bruit. Le syndrome de la démo. Ah si, sur la fin, le bruit se décide à se faire entendre, assez timidement tout de même.
Mon ami se propose de me suivre, tout doucement pour faire les 27 km restants. Au bout de 2 km, impossible de continuer, le bruit est trop important et ça bloque à chaque claquement. Il faut se rendre à l’évidence, c’est un cardan qui a rendu l’âme. Impossible de continuer. Je manœuvre donc un peu pour laisser ma voiture le plus loin possible du côté de la route. Me voilà en route pour chez moi, grâce à mes amis…
Quelques jours après, je suis retourné vers la voiture avec des gens qui s’y connaissent. Direction la casse la plus proche puis échange de la pièce défectueuse. (Ce n’était finalement pas un cardan, mais peu importe.)
La Renaud 19 savoure maintenant, et depuis quelques années déjà, un repos bien mérité !
Elle a connu… Vanessa.
euh… alors… donc… comment dire…
???!!!
@teles
Oui, donc tu disais… ?
Pour info : cette histoire s’est passée il y a une dizaine d’années. A l’époque, j’en avais écrit le récit dans un document Word, envoyé par email à la famille et les amis. Et… On me l’a retrouvé ! J’ai reformulé certaines parties, mais en gardant bien évidemment toute la substance initiale !